Airbus : Article ladepeche 04/12/2017
Turbulences chez Airbus : les patrons sur un siège éjectable
04/12/2017, 10:24 | AIRBUS
En pleine enquête pour corruption, Airbus pourrait perdre ses têtes dirigeantes. Tom Enders, le président du groupe doit prendre la parole demain devant les représentants des salariés lors d'un comité européen. Il pourrait être débarqué et entraîner avec lui Fabrice Brégier, le n°2 d'Airbus, au risque de déstabiliser le leader mondial de l'aéronautique.
Airbus est peut-être à l'orée d'une crise plus grave que celle des retards de l'A380 en 2007. Les salariés du groupe avaient été prévenus le 6 octobre dernier par une lettre de la main de leur grand patron, Tom Enders, qu'ils allaient «vivre une période turbulente et déroutante». Le patron allemand ne s'était pas trompé car le groupe toulousain, plongé dans une vaste enquête pour corruption (lire page 3), pourrait faire face à un nouveau risque majeur : le départ anticipé de son président exécutif Tom Enders. Le patron allemand voit en effet son avenir menacé à la tête de l'entreprise.
Selon des informations de presse, le conseil d'administration d'Airbus aurait mandaté un cabinet américain de chasseur de têtes afin de trouver un successeur au patron d'Airbus. La recherche s'étendrait même à son bras droit, le Français Fabrice Brégier. Si le mandat de Tom Enders court jusqu'en mars 2019, il pourrait être remis en cause par une possible mise en examen pour corruption dans des marchés portant sur la vente d'avions civils par l'entremise d'intermédiaires. La justice soupçonne l'existence de rétrocommissions illégales dans ses ventes (lire page 3). «Le board joue son rôle : il anticipe un éventuel problème en tentant d'y apporter une solution», tempère un proche du dossier. Il n'empêche. Le simple fait que cette chasse de têtes ait fuité est symptomatique du climat. «Certains ont tout intérêt à discréditer la tête d'Airbus en faisant passer ce type d'informations, alors que les administrateurs sont tenus au secret», lâche un cadre supérieur d'Airbus. Denis Ranque, le président du conseil, a tempéré en assurant que le board mène chaque année «une revue de succession» afin de trouver de potentiels successeurs aux dirigeants d'Airbus.
Des noms de successeurs circulent déjà
Selon nos informations, le board d'Airbus se réunit très régulièrement, «bien plus que d'ordinaire». Problème : certains administrateurs ne sont pas vraiment disponibles pour s'occuper du cas Airbus à l'image de Carlos Tavares qui consacre actuellement toute son énergie à digérer l'Allemand Opel racheté par PSA qu'il préside. «Jean-Claude Trichet, lui, n'a jamais mis les pieds dans une usine», lâche un Airbusien qui fustige la connaissance superficielle de l'industrie aéronautique de bon nombre d'administrateurs. Sans parler de la rancœur que nourrit le premier d'entre eux, Denis Ranque, qui n'a jamais digéré son débarquement de Thales en 2009 alors qu'un autre X-Mines, Fabrice Brégier, gravissait avec succès tous les échelons chez Airbus.
Et les sempiternels noms de potentiels successeurs circulent à nouveau. Carlos Ghosn, 63 ans, qui prépare actuellement sa succession à la tête de Renault-Nissan serait une piste tout comme celle de Thierry Breton, ancien ministre. Ce grand jeu de chaises musicales comporte des risques majeurs. Le remède risque bien d'être pire que le mal. En décapitant les deux têtes dirigeantes d'Airbus, le conseil d'administration déstabilisera la seule industrie qui crée encore des emplois en France et qui contribue à la balance commerciale. Alerté, le couple franco-allemand suit le dossier de près et ne semble pas prêt à faire n'importe quoi avec ce fleuron européen et… toulousain. Pendant ce temps, à Seattle, on se frotte les mains.
L'erreur Eremenko
En interne, c'est une des actions que l'on reproche le plus à Tom Enders : avoir recruté l'Américain Paul Eremenko. En juin 2016, ce brillant et prometteur électron libre de la Silicon Valley avait été bombardé directeur technique pour tout le groupe à seulement 37 ans.
Jeudi dernier, Airbus a confirmé que le bel oiseau avait claqué la porte et s'était envolé pour les États-Unis rejoindre UTC, un conglomérat très puissant dans l'aéronautique et notamment dans les moteurs d'avions.
Pourtant Tom Enders ne s'était pas ménagé pour «vendre» cette recrue aux ingénieurs d'Airbus vantant ses qualités «disruptives».
Se sentant pousser des ailes et protégé comme jamais, Paul Eremenko avait décidé de fermer le site parisien de Suresnes près de Paris employant 650 personnes notamment sur des fonctions de recherche et développement. Celui qui était passé par Google, Motorola mais aussi par le centre de recherches du Pentagone voulait propulser Airbus dans le nouveau monde. «Ce qu'il a réussi à faire c'est casser la recherche chez Airbus» lance sans ambages, François Vallin coordinatrice CFE-CGC chez Airbus. «Vu les relations qu'il entretenait avec les équipes, sa situation était devenue intenable en interne. Il ne pouvait plus rester» confie un directeur d'Airbus à Blagnac. Dans l'urgence, c'est (encore) un proche de Fabrice Brégier qui joue les pompiers. Marc Fontaine en charge de la transformation numérique d'Airbus assure l'intérim depuis la semaine dernière. Cette défection fragilise un peu plus Tom Enders en jetant un doute sur son aptitude à être le dirigeant qui fera entrer Airbus dans les années 2020 alors que doit se préparer le successeur de l'A320 NEO à cet horizon.
G.B.
@Gil_Bousquet